Kangni Alem est un homme de lettres, écrivain, traducteur et critique littéraire togolais né à Lomé en 1966. Également dramaturge et metteur en scène, il est diplômé en sémiologie théâtrale, docteur en Littératures française, francophone et comparée à l’Université Bordeaux III. Il a fondé en 1989 la Compagnie « Atelier Théâtre de Lomé ». En 2003, il a reçu le Grand Prix littéraire d’Afrique Noire, pour son ouvrage Cola Cola Jazz. Aussi sherpa du Président de la République du Togo, il est auteur de plus d’une vingtaine de livres très connus en Afrique, et nous parle de ses deux œuvres qui s’adressent au Brésil.
Kangni Alem é um literato, escritor, tradutor e crítico literário togolês, nascido em Lomé, em 1966. Além de dramaturgo e diretor, é diplomado em semiologia teatral, doutor em literatura francesa e comparada pela Universidade de Bordeaux III, tendo sido fundador da Companhia Ateliê de Teatro de Lomé em 1989. Em 2003, recebeu o Grande Prêmio Literário da África Negra, por sua obra Cola Cola Jazz. Além de sherpa do Presidente da República do Togo, é também autor de uma vintena de livros célebres na África, e nos conta de suas duas obras que dialogam diretamente com o Brasil.
Arendt. Monsieur Alem, merci d’avoir accepté de nous accorder cette interview. J’ai eu la merveilleuse occasion de lire deux de vos livres, l’œuvre « Esclaves » et votre livre le plus récent, « Les enfants du Brésil » à la sortie de laquelle notre Ambassadeur brésilien, Antonio Carlos de Salles Menezes, a eu l’honneur de faire un discours, sous l’invitation de l’Ambassadeur de l’Union européenne, Monsieur Nicolas Berlanga-Martinez. Dans les deux cas, le sentiment d’héritage est très fort dans votre écriture. Quelles sont, de votre point de vue, les liaisons les plus fortes qui restent encore entre nos cultures brésilienne et togolaise ?
Alem. Ce qui m’intéressait dans les deux livres sur le Brésil était l’exploration de la mémoire du Brésil chez les descendants d’anciens esclaves revenus du Brésil et installés dans le golfe de Guinée, pour beaucoup. J’ai essayé de décrire dans Les enfants du Brésil le sentiment de classe qui existe dans la communauté dite afro-brésilienne. Ce qui reste du Brésil chez eux est à la fois mythique et fictif, car la réalité culturelle dans laquelle ils vivent est plus togolaise, béninoise, ghanéenne que brésilienne. Le Brésil est un souvenir lointain, mais un joli souvenir qui crée des liens entre les Afro-Brésiliens.
Arendt. Sr. Alem, muito obrigada por aceitar esta entrevista. Eu tive a incrível oportunidade de ler dois de seus livros, a obra-prima “Escravos” e seu livro mais recente, “Os Filhos do Brasil”, o qual o nosso Embaixador brasileiro, Antonio Carlos de Salles Menezes, prestigiou como debatedor, a convite do Embaixador da União Europeia, Nicolas Berlanga-Martinez. Em ambos os livros, noto ser muito presente o sentimento de ancestralidade. Quais são, a seu ver, as ligações mais fortes que permanecem entre as nossas culturas brasileira e togolesa?
Alem. O que me interessava nesses dois livros sobre o Brasil era explorar a memória brasileira junto aos descendentes de escravos vindos há muito tempo do Brasil, e que se instalaram no Golfo da Guiné aos montes. Eu tentei descrever em “Os Filhos do Brasil” o sentimento de classe que existe na dita comunidade afro-brasileira. O que resta aqui do Brasil é por sua vez mítico e fictício, porque a realidade cultural na qual se vive é mais togolesa, beninense, ganense que brasileira. O Brasil é uma lembrança distante, mas uma lembrança alegre que cria laços com os afro-brasileiros.
Arendt. D’après vous. Quelle est la fonction de l’écrivain ? La littérature doit-elle avoir une fonction sociale ? Ou sa liberté d’expression inhérente ne comporte-t-elle pas cette idée ?
Alem. Après plusieurs années d’écriture, et plusieurs engagements citoyens, je ne sais plus comment répondre à cette question. Tout texte a plusieurs fonctions, et la fonction sociale n’est qu’une variante du texte littéraire. En Afrique, nos lecteurs ont tendance à croire que nous sommes des journalistes ou des leaders d’opinion. Je crois qu’il faut laisser à chaque écrivain le droit de faire ses propres expériences. Ce qu’on appelle la liberté d’expression chez un écrivain peut être simplement l’expression d’une vision personnelle du monde, susceptible de choquer le sens commun ou de le flatter. Les écrivains sont souvent des gens qui aiment décevoir les attentes populaires, et souvent il y a aussi cette vérité simple de l’écriture elle-même qui fait que l’intention réelle du texte peut échapper à son créateur. La littérature a certainement une fonction dialectique.
Arendt. E a seu respeito. Qual é a função do escritor? A literatura deve ter uma função social? Ou a liberdade de expressão, inerente ao ato de escrever, não comporta essa ideia?
Alem. Após muitos anos escrevendo, e também após muito engajamento cidadão, eu não saberia como responder a essa pergunta. Todo texto tem muitas funções, e a função social não deixa de ser uma variante do texto literário. Na África, nossos leitores tendem a nos ver como jornalistas ou formadores de opinião. Eu creio que há de se deixar a cada escritor o direito de ter suas próprias experiências. O que se chama de liberdade de expressão para um escritor pode ser simplesmente a expressão de uma visão pessoal do mundo, susceptível a chocar o senso comum ou de seduzi-lo. Os escritores são com frequência pessoas que amam decepcionar as expectativas populares, e muitas vezes essa verdade simples do próprio ato de escrever é o que faz com que a intenção real do texto possa extrapolar seu criador. A literatura tem certamente uma função dialética.
Arendt. Monsieur Alem, moi, j’écris par nécessité, pour remplir un certain espace vide que la vie a fait en moi. Mais vous m’avez parlé d’écrire avec passion. Vraiment, votre écriture est géniale, et vos belles constructions des lieux, des personnages, des scénarii saisissent le lecteur jusqu’à la fin, afin de profiter de ce voyage. Quand on lit, c’est comme être au même lieu dont l’œuvre parle, c’est comme avoir les mêmes sensations que le personnage. Comment êtes-vous arrivé à cette maîtrise des mots ? Et comment est-ce que vous vous sentez quand vous écrivez ?
Alem. Je m’explique davantage sur la notion de passion en littérature. C’est un mythe personnel, la seule justification que je trouve à l’acte d’écrire. Écrire est fatigant dans nos pays africains, souvent l’écrivain est juste une icône, mais il n’y a même pas dix mille lecteurs qui achètent ses livres. Je ne sais pas si c’est le cas au Brésil également, mais je pense que pour un jeune auteur au Togo, pour être écrivain pendant toute une vie, il faut avoir la passion des choses de l’esprit, et des grands textes littéraires. Sinon, on abandonne très vite. La passion, c’est surtout l’idée que la littérature se nourrit de la littérature, et que l’écrivain doit se sentir comme un alchimiste qui expérimente des produits nouveaux dans son laboratoire. La maîtrise des mots, je ne sais pas, j’écris en français, une langue que je dois forcer à dire ce que je pense. Cela demande un amour pour la langue, et un travail pour que le mot français dise exactement ce que je veux dire. Je me sens comme un métis linguistique lorsque j’écris.
Arendt. Sr. Alem, eu escrevo por necessidade, para preencher um certo espaço vazio que a vida fez em mim. Mas você me falou de escrever por outra razão. Falou-me de escrever com verdadeira paixão. De fato sua escrita é genial, e suas belas construções de lugares, personagens, enredos, seus pensamentos cativam o leitor até o fim, no propósito de aproveitar essa viagem. Quando lemos, é como estar no mesmo lugar de quem narra, sentir o que o próprio narrador sente. Como você chegou a essa maestria das palavras? E como se sente quando escreve?
Alem. Eu me explico logo sobre essa noção de paixão na literatura. É um mito pessoal, a única justificativa que eu encontro para o ato de escrever. Escrever é algo cansativo nos nossos países africanos, muitas vezes ao escritor é feita justiça e ele se torna um ícone, mas ele não tem sequer dez mil leitores que compram seus livros. Eu não sei se esse é o caso do Brasil, igualmente, mas eu penso que para um jovem autor no Togo, para ser escritor durante toda uma vida, é preciso ter a paixão pelas coisas do espírito, pelos grandes textos literários. Senão, abandonamos rapidamente. A paixão é sobretudo a ideia de que a literatura se alimenta da literatura, e que o escritor deve se sentir como um alquimista que experimenta produtos novos em seu laboratório. A maestria das palavras eu não sei, eu escrevo em francês, uma língua que preciso forçar para ela dizer o que eu penso. Isso demanda um amor pela língua, e um trabalho para que a palavra francesa diga exatamente o que eu quero dizer. Eu me sinto como um laborador linguístico quando escrevo.
Arendt. Quand on voyage ailleurs, on porte en soi son pays ? Quand vous écrivez sur TiBrava, et quand votre personnage est au milieu du Brésil, dans « Les Enfants du Brésil », c’est l’esprit de votre enfance, ce lieu superbe ? Quels sont les territoires littéraires intéressants, quels sont les lieux mouillés de vos mémoires de conteur nomade ?
Alem. TiBrava est un territoire littéraire que tout le monde croit réel. La manière dont je décris le territoire produit donc un effet de réel. Mais c’est une mosaïque, une sorte de partition musicale avec moi comme chef d’orchestre, et le lecteur comme le groupe de musiciens que je dirige. J’aime faire croire au lecteur que le lieu est réel. Mais pour paraphraser Spinoza, le concept de chien n’aboie pas, donc un nom de lieu peut être juste une fausse piste pour faire plaisir au lecteur, qui apporte soudain sa couleur, sa tonalité à la partition. Mais un lieu, ça peut disparaître, et moi je parle beaucoup de lieux réels qui ont disparu, je les fais renaître à la vie dans le temps de la fiction. Par exemple, le cinéma Cosmos à Rio a disparu, mais il renaît dans mon roman Les enfants du Brésil, car le temps du livre est un temps suspendu. Je voyage beaucoup, et je fais beaucoup de carnets de voyage, mais lorsque je retourne sur les traces de ma mémoire, je prends la peine de recréer le territoire avec des morceaux divers d’impressions. Les territoires littéraires intéressants sont peut-être ceux que la mémoire reconstitue. Les territoires de l’enfance sont souvent les plus riches chez un créateur.
Arendt. Quando se viaja ao exterior, carregamos dentro de nós nosso país? Quando você escreve sobre TiBrava, e quando seu personagem se encontra no meio do Brasil, no seu livro « Os Filhos do Brasil », esse lugar ímpar é o espírito da sua infância? Quais são os territórios literários interessantes, os lugares molhados das suas memórias de contista nômade?
Alem. TiBrava é um território literário que todo mundo pensa ser real. A maneira com que eu descrevo esse território produziu, portanto, um efeito de realidade. Mas é um mosaico, um tipo de partitura musical que me tem como maestro de orquestra e os leitores como o grupo de leitores a que me dirijo. Adoro fazer o leitor acreditar que esse lugar é real. Mas para parafrasear Espinoza, o conceito de um cão não late, então um nome de lugar pode ser apenas uma falsa pista para agradar ao leitor, quem logo adivinha sua cor, a tonalidade de sua escala. Mas um lugar pode desaparecer, e eu falo muito de lugares reais que desapareceram, os quais faço renascer na vida nesse tempo da ficção. Por exemplo, o cinema Cosmos no rio desapareceu, mas ele renasce no meu romance Os Filhos do Brasil, porque o tempo do livro é um tempo suspenso. Eu viajo muito, e faço muitos cadernos de viagem, mas assim que eu recordo dos traços de minha memória, eu envido o esforço de recriar o território com essas fatias diversas de impressões. Os territórios literários interessantes podem ser aqueles que a memória reconstitui. Os territórios da infância são muitas vezes os espaços mais ricos que existem dentro de um criador.
« Décidément, la rivalité religieuse entre les trois grandes villes historiques du Brésil était une affaire à prendre au sérieux. Macumba à Rio, shango à Recife et candomblé à Bahia, les mots étaient porteurs d’un rapport au monde différent à chaque fois, e d’une mise en scène de soi en conformité avec les désirs que chacun de mes interlocuteurs portait en lui.
Toutes les lectures que j’avais faites avant mon voyage brésilien confirmaient mes découvertes. Oui, les tiraillements des Noirs du Brésil entre diverses cultures expliquent bien l’importance qu’ils accordent à leur relation avec l’idée d’Afrique, ce territoire où sont restés les esprits des dieux, les orishas, qu’il s’agit de faire revenir dans les terreiros, à chaque culte, par la tête, le corps des fils et filles de saints du candomblé, du shango ou du macumba. D’où l’importance de ces lieux traditionnels à l’interieur des villes modernes. J’avais l’intention, à Bahia, de visiter un de ces terreiros, lieux mythiques qui disent la mémoire de la débâcle des royaumes africains, le lien avec l’histoire de l’arrivé des captifs dans le Nouveau Monde, l’acceptation de la nouvelle donne sociale, ainsi que celle du changement dans la continuité. Car pour moi l’Africain débarquant de TiBrava, il y avait cette certitude que les Noirs du Brésil n’étaient plus des Africains, mais des Afro-brésiliens, exactement comme les Noirs d’Amérique sont des Africains-Américains, et comme ceux de ma communauté afro-brésilienne au pays sont des Africains qui se la jouent en ramenant chaque fois à la surface l’histoire glorifiée de leurs ancêtres vendus en esclavage dans les Amériques et revenus soi-disant par amour, nostalgie de la terre des origines, alors que l’histoire peut parfois se révéler plus prosaïque q’on ne le croit. (…)
Mais de quelle Afrique s’estiment-elles les légataires authentiques, ne pus-je m’empêcher de lui demander, quand on sait que le paradigme africain homogène lui-même n’existe pas ? Que des Minas et des Fons déportés de TiBrava ou du Danhomé sont devenus Yorubas au Brésil, en s’adonnant à des pratiques religieuses qui n’étaient pas les leurs dans leurs nations d’origine. Júnior s’emporte, il s’en fout que les experts dénombrent quarante-cinq voire cinquante Afriques différentes, seule lui importe le trait commun à toutes ces célébrations, à tous ces discours sur l’Afrique, le partage de la même spiritualité, celle-là bel et bien africaine.
Je m’incline, d’ailleurs avais-je le choix ? Que Jorge m’explique qu’il lui arrive de se servir du discours animiste africain comme méthode de reconstruction sociale des jeunes Brésiliens d’ascendance africaine, pourquoi pas, surtout que je n’avais rien d’autre à lui proposer. Oui, pourquoi pas, au lieu de laisser vagabonder ces âmes mortes dans un pays où les guettent la déstructuration sociale, le chômage e l’appât du gain facile, pourquoi ne pas leur proposer d’exhiber une fierté de l’Afrique, celle de leurs ancêtres qui étaient rois et princes du Danhomé, Askia de Tombouctou et Alafin d’Oyo ?»
Kangni Alem, « Les Enfants du Brésil ». Les Éditions Graines de Pensées, Lomé, 2017, 200p.
“Decididamente, a rivalidade religiosa entre as três grandes cidades históricas do Brasil eram um assunto a ser levado a sério. Macumba no Rio, xangô em Recife e candomblé na Bahia... As palavras eram cada vez portadoras de uma descrição diferente do mundo, e de um enredo de si em conformidade com os desejos que cada um de meus interlocutores carregava dentro de si.
Todas as leituras que eu havia feito antes da minha viagem ao Brasil confirmavam minhas descobertas. Sim, as divergências entre os negros do Brasil em suas diversas culturas explicam bem a importância que eles atribuem à ideia de uma África, esse território onde se relegam os espíritos dos deuses, os orixás, dos quais se faz questão recordar nos terreiros, em cada culto, por meio da cabeça, por meio do corpo dos filhos e filhas de santos do candomblé, do xangô ou da macumba. Daí a importância desses lugares tradicionais no interior das cidades modernas. Eu tinha a intenção, na Bahia, de visitar um desses terreiros, lugares míticos que dizem a memória da dispersão dos reinos africanos, o lugar que contém a história da chegada dos cativos no Novo Mundo, a aceitação da nova rodada social, tanto de mudança quanto de continuidade. Porque para mim, que sou africano egresso de TiBrava, havia uma certeza de que os negros do Brasil não eram mais africanos, mas sim afro-brasileiros, exatamente como os negros da América são afro-americanos, assim como aqueles da minha comunidade afro-brasileira são aqui africanos que se encantam em trazer à tona, sempre que possível, a história glorificada de seus ancenstrais, vendidos como escravos às Américas, e se recordar disso com amor, nostalgia da suas terras de origens... De modo que a história pode ocasionalmente se revelar mais prosaica do que se imagina. (...)
Mas de qual África eles calculam serem os legatários autênticos? Jamais pude deixar de perguntar a eles, quando se sabe que o próprio paradigma homogêneo africano não existe. Que os Minas e os Fons deportados de TiBrava ou do Daomé se tornaram iorubás no Brasil, se atribuindo práticas religiosas que não existiam nos seus países de origem, bem sabemos. Mas Júnior se incomoda, ele se enfurece com que os experts denominem quarenta e cinco a cinquenta Áfricas diferentes, apenas lhe importa o traço comum a todas essas celebrações, a todos esses discursos sobre a África, a partilha da mesma espiritualidade, esta bela e bem africana.
Eu me sinto inclinado a concordar, além disso eu teria escolha? A concordar com a explicação à qual chega Jorge, ao se servir do discurso anímico africano como método de reconstrução social dos jovens brasileiros de ascendência africana, por que não? Afinal, eu não tinha nenhum outro discurso para lhe propor. Sim, por que não, ao invés de deixar vagabundear essas almas mortas em um país onde lhes fazem mira a desestruturação social, o desemprego e a tentação do ganho fácil, por que não propor a eles exibir uma fé africana, aquela de seus ancestrais que eram reis e príncipes do Daomé, Askia de Tumbuctu e Alafin de Oyo?
Kangni Alem, « Les Enfants du Brésil ». Les Éditions Graines de Pensées, Lomé, 2017, 200p. Trecho de tradução de A. P. Arendt.
Arendt. Vous m’avez parlé de votre expérience au Brésil, de quand on vous a fait un reproche en disant que vous ne voyiez pas la couleur de la peau des gens. À cette occasion, vous avez même été questionné sur votre « africanité » par les activistes brésiliens. Je présente mes excuses pour ça, et bien sûr que c’est amusant. En même temps, je comprends que le peuple brésilien a une expérience différente des Togolais, car même si Machado de Assis était métis au XIX siècle, le Brésil jusqu’à aujourd’hui n’a pas encore eu un Président noir. Il y a rarement des gens noirs au gouvernement, dans de grandes entreprises, à la télé et nous n’avons eu qu’un seul ministre noir à la Cour Suprême du Brésil. Cependant, la population est composée à plus de 50 % de noirs. Alors ça agace les gens. De votre point de vue, qu’est-ce qu’on peut faire pour réparer cette situation ? La littérature peut-elle être un espace plus libre à occuper, comme effectivement on a fait à la FLIP 2017, à Paraty ?
Alem. Le Brésil est un pays de paradoxe, comme les États-Unis d’Amérique. Le Noir est un homme invisible, malgré sa présence massive et son rôle dans la construction de la richesse du pays. Tout ce que vous dites est vrai, la politique est dominée par les Blancs. Le Brésil aurait peut-être besoin d’une véritable révolution des droits civiques. Sinon, rassurez-vous, j’ai bel et bien vu l’inégalité même dans le métissage brésilien. Je ne sais quel rôle peut jouer la littérature dans l’évolution des choses, mais j’ai eu le sentiment que musicalement les Noirs ont imposé leurs rythmes à la vision musicale du pays. Je peux me tromper. Un jour, le Brésil noir finira par faire sa révolution politique, grâce à l’accumulation des capitaux, puisque c’est cela la solution si le mouvement des droits civiques échouait. Mais les superstructures du Brésil sont tellement corrompues que le désespoir du peuple ne me surprend pas.
Arendt. Você me falou de sua experiência no Brasil, de quando foi repreendido ao dizer que não olhava a cor da pele de uma pessoa. Por essa razão foi questionada sua “africanidade”, por parte dos ativistas brasileiros. Eu peço desculpas por isso, e considero algo até mesmo divertido de ouvir. Mas ao mesmo tempo eu compreendo que o povo brasileiro tem uma experiência diferente daquela dos togoleses, porque se bem Machado de Assis, nosso grande escritor do século XIX, era mestiço, no Brasil de hoje nós não temos ainda um Presidente da República negro; há raramente pessoas negras no Governo e nas grandes empresas, na televisão, e nós tivemos apenas um único ministro da Suprema Corte negro, a despeito de nossa população negra e mestiça configurar mais da metade do País. Entendo que isso irrita profundamente as pessoas. Na sua visão, o que pode ser feito para reparar essa situação? A literatura pode ser um espaço a se ocupar com maior liberdade, como efetivamente acaba de se tentar na FLIP 2017, em Paraty?
Alem. O Brasil é um país paradoxal, como os Estados Unidos da América. O negro é um homem invisível, a despeito de sua presença massiva e de seu papel na construção da riqueza do país. Tudo o que você disse é verdade, a política é dominada pelos brancos. O Brasil talvez precisasse de uma verdadeira revolução de direitos civis. De outro modo, tenha certeza, prosseguirá a todo vapor a desigualdade, mesmo dentre os graus de mestiçagem brasileira. Eu não sei que papel poderia desempenhar a literatura na evolução das coisas, mas tive o sentimento de que musicalmente os negros impuseram seus ritmos sobre a visão musical do país. Eu posso estar enganado. Um dia, o Brasil negro conseguirá fazer sua revolução política, graças à acumulação de capitais, pois essa é a solução caso o movimento de direitos civis venha a falhar. Mas as superestruturas do Brasil são de tal modo corrompidas que o desespero do povo não me surpreende.
Arendt. Il y a des extraits très forts dans votre livre « Esclaves ». Nous connaissons l’esclavage surtout à travers les livres scolaires, les réflexions anthropologiques, peut-être dans quelques films, mais rarement on rencontre ce récit dans les détails, riche de sentiments de la perspective de celui qui l’a vécu. Avec votre permission je reproduis ici. D’où et de quelles expériences vous avez cherché l’inspiration pour écrire si bien ?
Alem. Je vous remercie. J’ai fait un choix précis pour écrire Esclaves : mélanger la fiction à l’histoire, inventer ce que je ne trouvais pas dans les archives. Le plus difficile pour moi a été de me projeter dans la mentalité du 19e siècle, comment vivaient les gens dans le royaume d’Abomey, de petites gens dominées par les notables de la religion vodou. Les comportements et les manières de penser de l’époque, tel que les historiens en parlent, m’ont guidé. L’inspiration vient de l’histoire, mais après il y a une composition, comme lorsqu’on crée un rôle au théâtre. J’ai beaucoup pris du plaisir par exemple à inventer les comportements féminins face au pouvoir des hommes pendant la période de l’esclavage, avec les amazones, ces femmes soldats, et les femmes esclaves dans les maisons des maîtres au Brésil; ce sont des sentiments humains qui me semblent éternellement guidés par le goût de la liberté personnelle face aux règles et du pouvoir. La fiction historique n’a pas peur d’inventer ce qu’il faut pour que la narration soit riche de détails sur la complexité de l’âme humaine.
Arendt. Notei trechos bastante fortes no seu livro Escravos. Nós aprendemos sobre a escravidão por meio dos livros escolares, das reflexões antropológicas, talvez de ver alguns filmes, mas raramente nós encontramos uma narrativa em detalhes, rica de sentimentos sob a perspectiva de quem vivia aqui. Com a sua permissão reproduzo um excerto. Onde e em quais experiências você buscou inspiração para descrever tão bem esses fatos históricos?
Alem. Obrigado. Eu fiz uma escolha clara ao escrever Escravos : mesclar ficção com história, inventar o que eu não encontrei nos registros. O mais difícil para mim foi me projetar na mentalidade do século XIX, como fiviam os povos durante o reinado de Abomey, as pequenas populações dominadas pelos notáveis da religião Vudu. Seus comportamentos e suas mameiras de pensar da época, tal como nos contam os historiadores, me guiaram. A inspiração veio da história, mas depois disso houve uma composição, da mesma forma como se cria um papel no teatro. Me agradou muitíssimo, por exemplo, inventar os comportamentos femininos face ao poder dos homens durante o período da escravidão, com as amazonas, essas mulheres soldadas, e as mulheres escravas nas casas-grandes no Brasil ; há sentimentos humanos que me parecem eternamente guiados pela busca da liberdade pessoal frente às regras e ao poder. A ficção histórica não teme inventar o que seja necessário para que a narração seja rica em detalhes, para contemplar a complexidade da alma humana.
« Il se leva, titubant. Les amazones étaient parties et le soleil était de retour. Les mouches aussi, lesquelles bourdonnaient déjà autour du corps sans tête de celle qui déjà n’était plus son épouse. Une masse sans tête toujours suspendue aux poutres. Il cria plus fort de douleur, ses narines dégoulinant de morve comme un nourrisson abandonné. Il cria et chanta à son tour, des longues malédictions contre les commanditaires de ce crime qui l’abaissait au rang d’une hyène ramasseuse de dépouille, cependant qu’il détachait le cadavre de la jeune femme, et s’apprêtait à l’enterrer avec la tête décapitée, selon le rituel réservé aux morts violentes.
Soudain, il s’arrêta. Non, pourquoi l’enterrer ? Selon quels rituels ? Un monde venait de s’effondrer, avec ses rituels et ses certitudes, pourquoi faire semblant !? Il ne pouvait plus se leurrer. Partir à la recherche du reste de sa famille emportée en esclavage, oui, mais revenir sur ces terres où les puissants, comme des dieux, provoquaient la mort des innocents, cela ne se pouvait plus. Et continuer à respecter les formes e les règles non plus. L’idée le secoua qu’il avait assez perdu du temps. Que la vie de ses enfants et de ses deux autres femmes, ces dernières plus dociles et fidèles que la décapitée, que leur vie était peut-être en danger grave… il fallait partir à leur recherche. Ces derniers temps, à cause de la surveillance des eaux du Danhomé par les bateaux anglais, il savait où l’ on menait de plus en plus les esclaves capturés à Gléhué ou dans les environs : à Porto Seguro, un village des Guin-Mina, autres vendeurs d’esclaves venus d’Accra s’installer sur les terres des Aja. De Gléhué à Porto Seguro, il fallait quatre jours de marche à un homme bien constitué.
Brûler les mouches, brûler les rituels. Que les dieux me pardonnent, dit-il, puis les premières flammes d l’incendie qu’il alluma de sa propre main léchèrent la paille de la toiture de la case. Il tourna le dos aux flammes et s’enfonça dans la végétation. »
"Esclaves", de Kangni Alem, p. 91-2.
“Ele se levantou, titubeante. As amazonas haviam partido e o sol estava de volta. As moscas também, as quais já se debatiam ao redor do corpo sem cabeça daquela que já não era mais sua esposa. Uma massa sem cabeça sempre dependurada nas vigas. Ele gritou mais forte, por sua dor, as narinas gotejando ranho como um rebento abandonado. Ele chorou e cantou por sua vez, as longas maledições contra os comandatários desse crime que o rebaixava ao nível de uma hiena coletora de lixo, enquanto soltava o cadáver da jovem moça e se apressava em enterrá-la com a cabeça decapitada, conforme o ritual reservado às mortes violentas.
De repente se deteve. Não, por que enterrá-la ? De acordo com que rituais? Um mundo inteiro acabava de se colapsar, com seus rituais e certezas, por que fingir? Ele não conseguiria mais se iludir. Partir em busca do que restava de sua família levada sob escravidão, sim, mas retornar a essas terras onde os poderosos, como os deuses, provocavam a morte de inocentes, isso já não conseguiria mais. E continuar a respeitar as formas e as regras, não mais. Uma ideia lhe atormentava, de que havia perdido muito tempo. A de que a vida de seus filhos e de suas duas outras mulheres, estas mais dóceis e mais fiéis que a decapitada, poderiam estar em grave perigo... Era preciso partir em busca deles. Nestes últimos dias, em função da patrulha nas águas do Daomé pelos barcos ingleses, era possível saber aonde eram levados aos poucos os escravos capturados em Glehué ou nas cercanias: ao Porto Seguro, uma cidade dos Guin-Mina, onde outros vendedores de escravos vindos de Acra haviam se instalado, naquelas terras de Aja. De Glehué à Porto Seguro, eram necessários quatro dias de caminhada para um homem de boa força física.
Ao inferno as moscas, ao inferno os rituais. Que os deuses me perdoem, disse, e logo mais as primeiras chamas de incêndio que ele acendeu com suas próprias mãos já lambiam a palha do telhado de sua casa. Ele virou as costas para as chamas e se embrenhou na vegetação.
"Esclaves", de Kangni Alem, p. 91-2. Trecho traduzido por A. P. Arendt. (No Brasil temos a edição "Escravos", Editora Pallas, 2011, 258p.)
Arendt. Est-ce que vous pourriez parler de vos autres œuvres, pour lesquelles vous aussi avez gagné des prix importants en Afrique, et qui aussi sont devenues célèbres à Paris ? Je souligne que Coca Cola Jazz a gagné le Grand Prix littéraire d’Afrique Noire 2003, et que vous avez aussi publié plusieurs œuvres de théâtre dans les années 1990.
Alem. Dans l’ensemble, j’ai commencé à écrire des pièces de théâtre à mes débuts en 1989, puisque j’étais comédien et metteur en scène. Après, j’ai commencé à écrire des nouvelles, les premières ont été publiées à Paris chez l’éditeur Revue Noire, ensuite chez Gallimard. Je suis arrivé au roman en 2002. Et depuis, je continue à écrire dans les trois genres. Je réserve les essais pour mes travaux d’universitaire.
Arendt. Poderia nos falar um pouco de suas demais obras, pelas quais ganhou prêmios importantes na África, e que também se tornaram famosas em Paris ? Eu noto que Cola Cola Jazz ganhou o Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire 2003, e que também publicou muitas obras de teatro na década de 1990.
Alem. No conjunto, comecei a escrever minhas peças de teatro em minhas estreias de 1989, pois eu era comediante e diretor. Depois, comecei a escrever contos, os primeiros publicados em Paris pela Revue Noire, e em seguida pela Gallimard. Eu cheguei ao romance em 2002. E depois, continuei escrevendo nessas três categorias. Nos ensaios eu me dedico a meus trabalhos universitários.
Arendt. Et pour le futur ? Vous m’avez déjà dit que vous travaillez sur un roman pour le publier dans deux années environ.
Alem. Oui, je travaille sur un nouveau roman, mais je n’aime pas trop parler de ce que j’écris. Tout juste je peux indiquer que cela porte sur le phénomène de Boko Haram au Nigeria.
Arendt. E para o futuro ? Você me disse que já se encontra trabalhando em um romance para publicá-lo daqui a dois anos.
Alem. Sim, estou trabalhando em um novo romance, mas prefiro não antecipar o que estou escrevendo. Posso dar uma dica, versa sobre o fenômeno do Boko Haram na Nigéria.
Arendt. Monsieur Alem, vous m’avez aussi raconté votre joie lorsque vous avez rencontré une amie qui vous a dit avoir vu votre livre à Paris, et de sa fierté d’avoir acheté une œuvre de son compatriote. Je suppose que c’est un épanouissement sans doute pour un auteur. Quels mots laissez-vous à la génération des écrivains qui commence tout juste à écrire, comme motivation pour arriver à cette joie ? Arendt. Sr. Alem, também me contou da sua alegria ao encontrar uma amiga que disse ter visto seu nome em um livro em Paris, e do orgulho dela ao comprar uma obra de seu conterrâneo. Suponho que deve ser uma grande realização pessoal para o autor. Quais palavras de motivação poderia dar aos escritores que acabam de começar sua jornada, para alcançar essa alegria ?
Alem. A arte é longa e a vida é curta. É preciso escrever sem pensar de antemão no ganho, mas com o sentimento de quem toma parte na tradição da literatura.
Alem. L’art est long et la vie est courte. Il faut écrire sans arrière-pensée de plaire, mais avec le sentiment qu’on participe à une tradition de la littérature.
Arendt. Merci, mon cher Kangni Alem, pour votre talent, et surtout pour votre avis très riche sur la vie, sur la littérature, sur ce qui est être merveilleusement africain.
Arendt. Muito obrigada, meu caro Kangni Alem, pelo seu talento, e sobre tudo por suas opiniões muito enriquecedoras sobre a vida, sobre a literatura, sobre o que é ser maravilhosamente africano.
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